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Cyril Mokaiesh

17 Août 2025

Spectacle payant

21  €

Cyril Mokaiesh

« Soyez vous-même, les autres sont déjà pris ».
Attablé dans le café de Ménilmontant où il écrit chaque jour, Cyril Mokaiesh reprend de volée l’aphorisme fameux d’Oscar Wilde pour décrire sa quinzaine (d’années) sur le central comme dans les corridors parallèles de la chanson française. Entamée par le coup d’éclat de Communiste, en 2011, après un échauffement rock avec le quatuor qui portait son nom, cette trajectoire d’ancien tennisman de haut niveau devenu tribun des salles de concerts ne s’apparente en effet à aucune autre. Passionné, ardent comme le feu, citoyen engagé, enragé parfois, et pourtant voix de sagesse, Cyril déploie depuis ses débuts la cartographie d’un monde intranquille comme l’origami des causes désespérées, dont il cherche vaille que vaille les éclaircies et les raisons d’y croire.

C’est par une citation d’un contemporain ô combien à vif, Vincent Lindon, qu’il ouvre avec la déflagration de Regarder passer les trains ce huitième et nouvel album :
« Je fais de mieux en mieux un métier que j’aime de moins en moins. »
Coup de blues passager ? Constat lucide en parlé/chanté sur la voie Léo Ferré face aux vents contraires de l’époque, celle des influenceurs, des bonimenteurs et des algorithmes ? Cette chanson d’humeur non dépourvue d’humour et d’autodérision se termine en hurlant « Bonne chance pour la suite », titre d’un album où la suite, justement, vient détromper en beauté ce constat d’impuissance.

Cela faisait pas loin d’une décennie, depuis Clôture (2017), que Mokaiesh ne s’était pas retrouvé seul avec lui-même. Il a tour à tour sorti un album vibrant et collectif, en lien avec ses racines libanaises, mêlant électro et musique traditionnelle (Paris-Beyrouth, 2020), un autre de duos avec les meilleurs de ses pairs (Dyade, 2021), puis délivré un hommage grand format au prince des nonchalants, Georges Moustaki (Le temps de vivre, 2023). Ce garçon qui écrit « pour ne pas finir sec, aigre et pédant » n’a jamais perdu la foi, en l’humain comme en lui-même. C’est la plus intransigeante des chanteuses, Anne Sylvestre, rencontrée lors d’un de ses derniers concerts au Francofolies, qui avec son « Écrire pour ne pas mourir » a rallumé en lui l’étincelle et l’a convaincu que le plus important « c’est le chemin, pas la destination ».

Pour mettre en chair ces nouvelles chansons composées à l’os, à la guitare et au piano, il en a confié les clés de la réalisation à Romain Humeau, jadis croisé lorsqu’il faisait les premières parties d’un héros commun, Bernard Lavilliers. Le leader d’Eiffel, multi-instrumentiste et arrangeur épris de grands espaces à l’intérieur du cadre des chansons, était à l’évidence l’homme tombé à pic pour insuffler cette fièvre et cette même envie « d’être plus grandiose que ce que l’on est » qui ont toujours animé Cyril depuis ses glorieux débuts.
« Tout reprend vie » chante Mokaiesh à l’entame de la quarantaine, et c’est bien d’énergie vitale dont il est question sur chacune de ces douze chansons qui dressent le portrait d’une époque et de ses tumultes sans céder le moindre millimètre au cynisme qui souvent la parasite.

Approximatif, qui charge avec vigueur et précision les charlatans des réseaux et les faiseurs d’opinions démagos, est un appel à ralentir la cadence du chaos, quand Envie d’air en suggère une sortie par le haut. Mokaiesh est peut-être à contre-courant, naïf, rêveur ou idéaliste, à toujours « croire au vivre ensemble, au soleil radieux » et à penser qu’On a besoin d’amour, à « croire qu’ils sont précieux, nos jours », il fait preuve pourtant de ce panache chevaleresque sans relâche de ceux qui ne mettent jamais le pied à terre avant que la terre ne les emporte. En auteur engagé, il conserve toujours cette boussole humaniste (Le chant du migrant) et l’âme à gauche même quand les repères deviennent plus instables et flous et le combat, dit-on, perdu d’avance.

Une autre connexion a eu lieu, avec un parent d’élève devenu ami, le chanteur Raphaël, « un gars solide et solaire » avec lequel il a co-composé les deux titres les plus sensibles et intimes de l’album, l’hymne à l’amour Grâce à toi et A ce soir, émouvante chanson à l’adresse d’un fils ado nimbée d’arpèges réconfortants.
À l’écriture fluide de Mokaiesh, à ces mots qui coulent comme des ruisseaux en dépit des obstacles, Romain Humeau a su allier cette musicalité héritée d’un grand respect amoureux pour la chanson et la pop, sans passéisme mais avec un goût pour cette noblesse aussi profondément française qu’anglo-saxonne des orchestrations. Mêlant électronique et sons organiques, sextuor à cordes et basses arrondies, claviers aux transparences de cristal et groove torride (La vérité des baisers), l’ouvrage est aussi raffiné que son sujet est dense et profond.
Bonne chance pour la suite commençait par un renoncement, aucun doute qu’à l’arrivée il s’agisse en réalité d’un recommencement.